Conférence de Monsieur François DUBET

Clermont Ferrand le 17 mars 2004

 

La massification scolaire

Un changement de modèle éducatif

Quels sont les éléments du programme institutionnel qui expliquent notre modèle éducatif ?

Pourquoi est-on sorti d’un tel modèle ?

Les conséquences sur les acteurs et le système sont multiples :

Quels types de réponses développer socialement face au déclin du programme institutionnel ?

Questions réponses

Le voile : Que pensez vous de la façon dont la question a été abordée et pouvez vous nous présenter votre approche des éléments de réponses proposées ?

Le Grand Débat : pourquoi avoir lancé un grand débat national quand il était prévisible qu’il n’allait mobiliser que les acteurs traditionnels de l’Ecole ?

L’avenir : à votre avis qui prendra la place de la République comme transcendance d’un vivre ensemble ?

Supposons que l’on ne fasse rien. Qu’adviendra-t-il ? Que va nous imposer le niveau européen ?

Qu’est ce que serait pour vous le métier d’enseigner ? Comment définir les compétences et les modalités d’exercice du métier pour relever les enjeux que vous nous avez proposés ?

Au delà des résistances que peuvent susciter vos propositions qu’est-il possible d’envisager pour organiser des temps d’expérience et faciliter les évolutions.

 

Dans un travail récent, François Dubet s’est interrogé comment, dans la société actuelle, certaines personnes, par leur travail, agissaient sur les autres et les transformaient (médecins, infirmiers, travailleurs sociaux, psychologues, entraîneurs sportifs, professeurs..) 

Cette réflexion ne concerne pas seulement l’école mais a débouché, entre autre, sur une question « l’ Ecole est –elle encore une institution ? » La réponse est non et le propos d’aujourd’hui permettra de comprendre ce que cela signifie.

 

La massification scolaire

 

Quand, dans un lieu d’expression publique, on aborde les problèmes de l’école (échec scolaire, inégalités, violence, inappétence scolaire des élèves….), on les attribue souvent à des changements extérieurs faisant de l’école la victime de transformations plus ou moins maléfiques venues du dehors. La première explication repose sur une critique générale de la société : « les inégalités sociales sont inacceptables, les familles sont démissionnaires, la TV rend idiot, les enfants ne sont pas éduqués, il n’y a pas d’emploi pour tout le monde.. . En fait, ces réflexions masquent un bouleversement : l’école française a complètement changé de nature en devenant une école de masse.

 

L’école républicaine a été pendant longtemps une école protégée parce que, scindée elle n’accueillait que des publics triés : il existait l’école du peuple pour les enfants du peuple avec arrêt de la scolarisation à 12 ans puis 14 ans, et l’école destinée aux enfants de la bourgeoisie et préparant au baccalauréat. Ces deux mondes étaient très différents avec toutefois la possibilité d’un monde intermédiaire avec l’école primaire supérieure, le CEG, le CES où les meilleurs élèves du peuple pouvaient obtenir un brevet élémentaire. Les meilleurs encore d’entre eux pouvaient prétendre à fréquenter le lycée. Cette conception de l’école était le fait volontaire d’une société voulant pas mélanger les mondes sociaux, mais produire un certain élitisme puisque ‘il ne fallait pas se priver des meilleurs talents issus du peuple.

 

Dès les années soixante de met en œuvre d’une importante massification scolaire dans le secondaire.

Quantitativement cela se manifeste de façon très forte :

- 2% de bacheliers en 1902, 6% en 1950, 15 % en 1965, 37 % en 1985, 70 % aujourd’hui

- la moitié des enfants ne sont pas scolarisés après 16 ans en 1965, la moitié des enfants sont actuellement étudiants jusqu’à 20 ans.

Dès lors, l’école, « temple de la civilisation et de la culture », est envahie par des enfants « inadéquats » et qui ne sont pas prêts à jouer le jeu. Ne sont plus seulement admis à l’école, comme le dit Bourdieu, les « héritiers », les enfants préparés par leur famille à faire des études ou les « boursiers », les enfants du peuple vertueux et travailleurs, désireux de faire des études.

 

Cela a pour conséquence l’introduction des problèmes sociaux à l’école, problèmes qui certes existaient avant, mais de fait étaient tenus en dehors de l’école. Autre « désordre », l’apparition de la mixité scolaire amène à prendre en compte l’adolescent en tant que tel dans les murs de l’école avec toutes les préoccupations liées cette identité (auto-identification sexuelle, amours, amitiés..).

 

Autre conséquence de la massification scolaire : la croissance de l’utilité scolaire des diplômes. En effet l’école républicaine avait pour objectif d’apprendre à lire, écrire et compter aux enfants du peuple pour qu’ils deviennent des citoyens. Les élèves obtenant des diplômes supérieurs au certificat d’études étant peu nombreux, le diplôme ne déterminait l’entrée dans la vie active que pour une minorité de la population, mais pas pour les paysans, les ouvriers et la grande majorité des femmes. Avec la massification scolaire, le diplôme prend une importance nouvelle puisqu’il détermine, du fait de la concurrence, le niveau d’entrée du jeune dans la vie active. L’acquisition de diplômes ayant des valeurs inégales, fait l’objet d’une quête constante de la part des enfants et de leurs parents. L’Ecole fonctionne donc « comme un marché » ou l’on vient chercher des biens de plus en plus rares pour qu’ils vaillent cher et, par conséquent, elle a profondément changé de nature.

 

Depuis le plan Langevin Wallon, aucun gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche, n’a remis en cause le processus de massification. On peut donc admettre que l’école a changé parce qu’elle s’est ouverte de fait aux problèmes d’un monde en perpétuel changement et que, pour l’essentiel, les problèmes du monde sont entrés dans l’école. C’est d’ailleurs cette dénonciation de « l’envahissement » qui fait l’ordinaire de la plainte des salles des professeurs.

 

Un changement de modèle éducatif

 

On peut proposer une autre perception du problème : un changement véritable de modèle éducatif se conjugue au phénomène de la massification scolaire pour expliquer le changement de nature du processus de socialisation des jeunes.

 

La création de la forme scolaire elle-même est le fait de l’Eglise qui, au nom d’un principe universel de nature religieuse (le dogme chrétien), voulait éduquer les enfants pour en faire des chrétiens conscients, rationnels, détachés de leurs seules appartenances sociales, familiales, etc ... Nous avons « inventé » l’école comme une machine capable d’instituer un type de sujet social : le chrétien d’abord, puis le citoyens républicain. En créant l’Ecole républicaine, La France républicaine a chassé l’Eglise de son monopole sur les esprits tout en conservant la forme institutionnelle de l’école, ce que j’appelle le « programme institutionnel ».

  

Quels sont les éléments du programme institutionnel qui expliquent notre modèle éducatif ?

 

La légitimité de l’Ecole repose sur le fait que les enfants sont éduqués par l’Ecole républicaine pour devenir des citoyens conscients et rationnels sur la base de notions non négociables telles que la raison, la science, le progrès, nation, l’égalité, la fraternité, liberté.

Le principe d’autorité sur lequel s’appuie l’enseignant est fondé sur la sacralisation du savoir : le maître incarne le savoir qu’il est susceptible de transmettre et censé représenter la raison, la science, le progrès. Cette autorité charismatique détenue par l’enseignant grâce à l’obtention d’un concours est comparable à celle du prêtre qui, lorsqu’il dit la messe, incarne la présence divine.

L’Ecole est un sanctuaire à l’abri des intérêts (pas de parents, pas d’argent) et des passions (pas de mixité sociale). l’Ecole s’adresse à des élèves, des êtres de raison universels, et pas à des enfants ou des adolescents, des êtres « psychologiques singuliers ». Ce sanctuaire se sépare du monde en valorisant le conceptuel, l’abstrait. Ce qui subsiste dans la hiérarchie des disciplinaires scolaires où les disciplines les plus pratiques et les plus immédiatement utiles sont toujours considérées comme les moins dignes.

L’idée centrale de ce modèle éducatif réside sur le fait qu’un élève soumis à une discipline rationnelle et universelle sortira de l’Ecole autonome et libre. L’élève en se pliant aux règles de ce système aura conscience en fin de parcours de l’intérêt de ce qu’il a appris et pourra se comporter tel un citoyen raisonnable et averti.

 

Ce modèle éducatif a, dans le temps, fait preuve d’efficacité, su se préserver de l’environnement, créer de la motivation pour les adeptes (enseignants et bons élèves). C’est un modèle qui a permis de gérer la tension entre « le sublime des principes et le sordide des faits ».

 

Pourquoi est-on sorti d’un tel modèle ?

 

C’est la modernité elle-même qui est la principale cause du déclin de ce modèle éducatif, c’est elle qui dégrade cette forme scolaire, tout en étant portée par les valeurs modernes de l’école.

 

Les principes fondamentaux (raison, égalité…) restent sacrés. Mais actuellement, aux yeux des acteurs, leur mise en œuvre met en évidence des contradictions générant un doute quant à la validité de l’ensemble. Nous sommes de plus en plus démocrates et nous considérons que les valeurs que nous nous donnons sont plus morales et plus dignes que l’obéissance à des principes sacrés et indiscutables, et l’école républicaine a joué un grand rôle dans le développement de cette capacité d’autonomie critique. Mais, de manière générale, on considère que la modernité porte en elle un certain « désenchantement » du monde.

De plus si l’Ecole républicaine a chassé l’Eglise , elle n’a pas su conserver le monopole de la « grande culture ». Il est institutionnellement difficile d’admettre une réalité objective : une majorité des connaissances apprises par les jeunes sont le fait de stimulations intellectuelles, culturelles, affectives non issues de l’Ecole.

L’autorité du maître ne vient plus du fait qu’il incarne un principe sacré mais de sa capacité à réaliser les tâches pour lesquelles il est payé . Il doit donc conquérir son autorité par ses compétences et sa capacité à plaire.

 

L’Ecole ne peut plus être un sanctuaire puisque, ouverte à tous, elle ne s’adresse plus uniquement à « des croyants » choisis mais à un ensemble de personnes (parents et élèves) pour qui le maître n’est plus un savant reconnu par tous mais un professionnel exerçant un métier « normal » relatif à la pédagogie.

 

La régulation sociale ne se fait plus par la morale, l’acquisition de la grande culture universelle mais par un intérêt bien compris du jeune pour ses études. Dans les familles l’objectif poursuivi est que l’adolescent soit à la fois bien dans sa peau et scolairement efficace. L’Ecole doit donc apprendre à gérer la dualité enfant-élève occultée précédemment.

 

Les conséquences sur les acteurs et le système sont multiples :

 

L’enseignant, qui est en première ligne, exerce un métier de plus en plus difficile puisqu’il doit motiver l’élève pour le faire adhérer au système. Lui même, ayant parfois quelque doute quant à l’utilité du système, doit savoir trouver des ressources pour se motiver avant de motiver les élèves. Plus le cadre institutionnel est faible plus les acteurs doivent faire des efforts pour prendre en charge ce que le programme institutionnel ne fait pas.

· Si les enseignants du 1° cycle ont perçu la désinstitutionnalisation comme une possibilité d’enrichir leur activité, les enseignants du second cycle ont une attitude plus ambivalente. Individuellement 83 % des enseignants sont satisfaits d’exercer leur métier et donc acceptent implicitement le nouveau modèle pour ce qui est de leur pratique individuelle ; ils s’adaptent aux nouvelles conditions du travail pédagogique. En revanche, sur le plan collectif, le refus de ce modèle s’exprime souvent une certaine violence, comme si le programme institutionnel était la seule forme acceptable de l’école..

· Pour l’élève en échec scolaire, la situation dans ce cadre est difficile et peut déboucher sur la violence. En effet, on lui a donné l’autorisation de rentrer dans le système ; lui seul doit assumer sa non-réussite liée à ce qu’il n’a pas fait ce qu’il fallait faire pour réussir.

 Les réactions peuvent se manifester de trois façons : se glisser dans l’apathie, feindre une adhésion au système pour avoir la paix ou bien de se rebeller par des actes de violence face à un système perçu comme injuste parce qu’il « oblige » l’élève à échouer et à perdre sa propre estime.

Dans le système précédent la société produisait des inégalités en amont de l’Ecole. Actuellement tout individu ayant une chance théorique de réussir, l’Ecole devrait être un outil de réduction des inégalités. La réalité prouve le contraire. Un mythe s’effondre et crée globalement un désenchantement.

On assiste , pour faire face à la difficulté d’enseigner, à une taylorisation du travail scolaire. Le travail éducatif est découpé en tranches, chaque tranche étant assurée par un spécialiste (cf. les différentes facettes du rôle des aide-éducateurs devenus indispensables pour assurer certaines tâches spécifiques dans les établissements). Cette tendance peut étonner face au constat de détaylorisation générale dans le monde de la production d’objets.

 

Quels types de réponses développer socialement face au déclin du programme institutionnel ?

 

Le premier type de réponse relève de la tentation réactionnaire : « revenir en 1910 ».

Les partisans du retour à une Ecole réservée aux bons élèves n’envisagent aucune solution pour les jeunes ne réussissant pas. Qui les prend en charge ? Pourquoi faire ?…

Cette réaction rétrograde correspond, semble-t-il, plutôt à un réflexe de défense face à la complexité du problème qu’à une véritable réponse, mais elle rencontre une certain succès dans les milieux intellectuels au nom de la défense de la culture et du niveau.

· .Le deuxième type de réponse relève de la tentation conservatrice : maintenir le système en l’état en y assignant les moyens nécessaires. Le système peut s’adapter à quelques nouveautés mais il faut surtout utiliser les moyens pour que l’école ne change pas, pour faire plus la même chose avec moins d’élèves.

· La troisième tendance relève du libéralisme : laisser le système s’auto-réguler sans qu’il ne soit proposé de solution permettant un véritable changement.

· Dans cette situation les « initiés » (classes moyennes et supérieures) trouvent au sein du système les solutions (carte scolaire, dérogations….) permettant à leurs enfants de profiter des opportunités offertes par l’Ecole ; les non initiés (les classes modestes) ne s’accordent même pas le droit de protester contre une loi du marché réglant le fonctionnement de l’école.

Derrière un décor républicain (règlements bureaucratiques) se cache une dérégulation du système génératrice d’inégalités sociales. Et je remarque que cette évolution du système n’est guère dénoncée par les militants les plus critiques du libéralisme. Peut-être que cela tient au fait que leurs enfants sont bénéficiaires de cette hypocrisie du système.

Pour éviter ces solutions peu porteuses pour l’avenir de l’ensemble de nos jeunes il est impératif d’afficher une volonté politique d’accompagnement du changement.

 

Pour cela il faudra répondre à quatre questions :

· Quelles sont les conditions à mettre en place pour favoriser voire réaliser l’égalité des chances ? (les enquêtes internationales prouvent que notre système n’est ni parmi les plus efficaces, ni parmi les plus équitables)

· Qu’est-ce que l’Ecole doit garantir au plus faible des élèves ?

Actuellement on ne lui donne que la distance qu’il lui reste à parcourir pour devenir le meilleur (la chance de poursuivre des études !).

· Qu’est-ce que l’Ecole doit en terme d’utilité vis à vis des jeunes ?

Dans une Ecole juste, chacun devrait être assuré de l’intérêt du diplôme obtenu pour une entrée adaptée dans la vie active.

· L’Ecole a-t-elle une capacité éducative ?

Actuellement celle-ci décline pour se réduire à la juxtaposition de deux systèmes : transfert de connaissances et maintien de l’ordre. Si l’on veut créer de véritables communautés éducatives il faudra en mesurer le coût et les moyens nécessaires, et envisager quel type de statut des enseignants cela suppose.

 

Ne pas répondre à ces questions entraînera sans aucun doute la pérennisation d’un décor républicain pour masquer une école injuste génératrice de désenchantement et de violence chez nos jeunes.

 

Puisque cette grande théologie des institutions n’est plus , il faut qu’on en invente des petites, plus efficaces, au niveau des établissements, des équipes éducatives, ce qui appelle probablement un révision du mode de gestion et de pilotage du système. .

 

Questions réponses

 

Le voile : Que pensez vous de la façon dont la question a été abordée et pouvez vous nous présenter votre approche des éléments de réponses proposées ?

 

Si l’on aborde la question en terme de principe, la définition du concept de laïcité qui met en évidence deux éléments contradictoires :

· la neutralité idéologique et religieuse à l’école

· la tolérance vis à vis des différences

ne permet pas de donner une réponse à l’acceptation ou non du voile à l’école.

Ne pouvant trancher le problème idéologiquement il fallait envisager chaque cas séparément replaçant cette problématique du voile dans une approche plus large.

L’Ecole devrait avoir pour objectif de fabriquer des êtres capables de construire leur vie et leur subjectivité de la manière la plus positive possible.

Lorsqu’une fille porte le foulard il serait nécessaire de répondre à deux questions :

· l’a-t-elle choisi ?

· si oui quel sens donne-t-elle à ce geste ?

· si non décide-t-on de protéger l’enfant ?

Le cadre national, dans lequel s’inscrit l’Ecole, fait qu’il n’existe pas de communauté éducative pouvant prendre en charge ces réponses. Les chefs d’établissement, entre autres, ont demandé une loi qui les aideraient à trancher parce que chaque établissement ne se sent pas assez fort pour s’accorder sur sa propre loi.

En mettant en place la loi telle qu’elle est, le risque est de voir se développer le nombre de jeunes filles voilées et donc de démultiplier les ségrégations et leurs conséquences.

En replaçant le problème du port du voile dans un champ d’investigation plus large, on constate que ce n’est pas un problème de laïcité mais un problème national. En effet le lourd ensemble de règles administratives présidant au fonctionnement de l’Ecole masque un déficit de capacités politiques en matière de décision. De même sur le plan local, il n’existe pas de structure susceptible de répondre avec la légitimité nécessaire à certains questions délicates.

En évitant de poser les véritables questions, on maintient une Ecole dans laquelle les contraintes sont vécues comme violentes et difficiles à gérer par les acteurs.

 

Le Grand Débat : pourquoi avoir lancé un grand débat national quand il était prévisible qu’il n’allait mobiliser que les acteurs traditionnels de l’Ecole ?

 

Certes le système Education Nationale souffre d’une logique d’enfermement. Comme dans tous les débats proposés, la participation des représentants de la société dans son ensemble n’a pas été très importante. Peut être a-t-elle été un peu plus marquée que pour les débats initiés précédemment.

Il est remarquable que de tout bord politique, du législatif à l’exécutif, l’on se refuse à aborder franchement, de façon réaliste, les problèmes profonds de l’Ecole et d’envisager des prises de décision courageuses mais pas toujours populaires.

En raison d’une division du travail syndical, les syndicats, autres que ceux de l’Education Nationale, ne veulent pas prendre pas position sur la problématique de l’Ecole avec un regard extérieur qui serait salutaire mais laissent à leurs collègues de l’enseignement le pouvoir d’appréciation et de force de proposition.

 

L’avenir : à votre avis qui prendra la place de la République comme transcendance d’un vivre ensemble ?

Le déclin de la transcendance religieuse annonçait le déclin de la transcendance républicaine ; ce processus rend peu imaginable le retour d’une transcendance pour établir un nouveau modèle éducatif.

Notre avenir se situe plutôt dans la démocratie. En effet lorsqu’un système social ne peut plus être fondé sur des principes sacrés, il ne peut être fondé que sur des principes politiques qui sont des manières collectives et légitimes de définir le juste et le bien. Il nous faut donc construire une école dont la légitimité tient au fait qu’elle soit juste.

Dans cette approche tout comme dans le sacré, il est bien sûr possible de convenir démocratiquement que certaines choses sont non négociables.

 

Supposons que l’on ne fasse rien. Qu’adviendra-t-il ? Que va nous imposer le niveau européen ?

 

Les traditions éducatives sont très nationales et l’Europe n’imposera rien quant au modèle éducatif. L’Europe impose seulement des compatibilités de fonctionnement des systèmes (LMD par exemple).

Les situations sont très différentes selon les pays :

· Les anglais ont apporté des modifications importantes à leur système éducatif et les résultats semblent être positifs.

· Les allemands étaient satisfaits de leur école mais les enquêtes internationales ont affichés de mauvais résultats. Ils cherchent énergiquement des solutions pouvant leur garantir de meilleures performances.

· Les français, italiens, espagnols essaient de maintenir leurs systèmes même si se posent des problèmes importants.

Alors que les résultats de l’enquête PISA sont peu encourageants, plaçant la France dans une situation très moyenne aussi bien au niveau de l’efficience que de l’égalité des chances, aucune information n’a été largement diffusée dans le public.

Cela conforte l’idée que l’on ne veut, et peut être, ne peut bousculer un imaginaire sacré qui voit l’Ecole française comme un modèle d’efficacité et de justice. L’Ecole est, en France, une institution nationale à laquelle on ne peut toucher. Par exemple on peut expliquer en partie, par ce biais, les mouvements de grève liés à la décentralisation. Sous l’emprise d’un raisonnement symbolique, il est avancé que la décentralisation crée de l’inégalité régionale. Tous les chiffres prouvent le contraire, la décentralisation a réduit les inégalités entre les régions. Mais ne plus avoir un centre homogène pour l’Ecole apparaît comme une perte d’unité pour la nation tout entière. Cette liaison très forte et très particulière, école – nation, suscite des crispations symboliques très importantes pour l’évolution de notre système.

 

Qu’est ce que serait pour vous le métier d’enseigner ? Comment définir les compétences et les modalités d’exercice du métier pour relever les enjeux que vous nous avez proposés ?

 

En fait plus que les pratiques, les sociologues pensent qu’il faut définir des règles et que les pratiques suivront. Quelles règles devons nous mettre en place pour que les enseignants adaptent eux même leurs pratiques ?

Certes les enseignants doivent avoir des compétences disciplinaires. Toutefois elles ne doivent pas être mono-disciplinaires. Refuser certains regroupements (math physique par exemple) n’a aucun sens intellectuel. De plus, la pluri-disciplinarité donnerait beaucoup de souplesse au niveau du fonctionnement des établissements et permettrait d’élargir les modalités de recrutement.

Pour alléger la vie professionnelle des enseignants et améliorer le niveau de reconnaissance de leur métier, il apparaît nécessaire de redéfinir leur service : l’enseignant transmet des connaissances pendant dix à douze heures et il éduque. Cela sous-entend une disponibilité pour une aide aux devoirs, pour un accueil des parents et des élèves, pour assurer le maintien d’une discipline, pour animer une activité périscolaire. Il en découle que l’enseignant puisse disposer pendant une vingtaine d’heures d’une infrastructure matérielle (bureau, ordinateur…) lui permettant d’élargir le champ de ses activités et de réaliser son travail de préparation sur place.

La formation des enseignants doit inclure une formation disciplinaire et un stage professionnel. L’institution doit avoir le courage de ne pas admettre de façon définitive les personnes n’ayant pas les capacités, en particulier pédagogiques, afin d’éviter des situations particulières insoutenables.

A la formation disciplinaire doit être associée un formation de culture générale permettant de mieux comprendre le fonctionnement de notre système et d’en mesurer les avantages et les limites.

Si l’accréditation en tant qu’enseignant reste le fait d’un concours, le recrutement devrait être fait par une commission d’établissement et ne plus relever d’un mouvement national. C’est déjà le cas dans l’enseignement supérieur. Cela supposerait la mise en place d’une véritable autonomie des établissements, associée à un système de pilotage fort. Comment éviter le turn over des établissements difficiles sinon en créant des conditions de travail véritablement différentes ? Aujourd’hui, les primes de ZEP sont une prime à la fuite. Evidemment, tout ceci peut apparaître comme de véritables provocations.

Le métier d’enseignant est un métier difficile qui ne peut ne pas être le métier de toute une vie. L’enseignant devrait pouvoir moduler son temps de travail (comme on le fait en enseignement supérieur) autour de plusieurs possibilités : enseigner, gérer, administrer…en fonction des besoins de le l’individu et de l’institution.

 

Au delà des résistances que peuvent susciter vos propositions qu’est-il possible d’envisager pour organiser des temps d’expérience et faciliter les évolutions.

 

Les formations individuelles ont démontré leurs limites quant à l’efficience du système. Les formations sur site permettaient de créer un effet d’entraînement au sein du groupe. Elles garantiraient probablement un réinvestissement plus important dans l’établissement.

Il est nécessaire de créer des situations pour générer des réactions innovantes de la part des enseignants et produire des réponses pertinentes aux questions qui se posent.